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dimanche 24 juillet 2011

Plan d’action pour sauver le caractère inclusif de la microfinance

La microfinance est un sujet de plus en plus populaire. Expérimentée depuis plusieurs décennies dans les pays du Sud, et plus récemment dans le Nord, elle a fait l’objet de nombreuses enquêtes (reportages télévisés ou dans les journaux ) auprès des bénéficiaires de ces fameux micro-crédits, afin de se rendre compte de l’impact concret sur leur vie quotidienne. Les résultats ont parfois montré des situations désastreuses dans les pays du Sud notamment, jetant un discrédit sur ce mode d’assistance destinés justement aux personnes en difficulté. Même s’il s’agit plutôt d’épiphénomènes, il y a lieu de prendre des mesures pour éviter une généralisation.  


Les risques de financiarisation de la microfinance
Lors de l’introduction en bourse de SKS (1) en juillet 2010 (la plus grande institution de microfinance indienne, controversée suite à la brusque vague de suicides de preneurs de crédit intervenue en Inde en 2009 et 2010), Muhamad Yunus avait exprimé des doutes sur ce modèle, en livrant au dirigeant de SKS les propos suivants : « Au travers de cette introduction en bourse, vous lancez un message aux souscripteurs qu’il existe une opportunité énorme de gagner de l’argent avec les pauvres. Il s’agit d’une idée qui m’indigne. La microfinance doit aider les pauvres à se constituer un capital, non pas à s’en déposséder au profit des riches ».

Vikram Akula, CEO de SKS avait répondu à ce point en affirmant qu’une entrée en bourse est un moyen de lever des fonds en importance suffisante pour pouvoir accorder des prêts à tous les nécessiteux de la planète. Selon Yunus, ce raisonnement est réducteur, car il élude une partie de la fonction bancaire de la microfinance : celle de collecter les dépôts. En pratique, il faudrait que les IMF – Institutions de Microfinance – puissent bénéficier d’une licence bancaire les autorisant à collecter des dépôts (leur permettant ainsi d’accéder à une plus grande autonomie financière). Assez généralement, les pays concernés par la microfinance sont plutôt réticents à élargir les conditions d’éligibilité au statut de banque, car cela impose automatiquement des contraintes en matière de contrôle des risques et de reporting notamment, qu’une petite structure ne peut pas assumer.

Le secteur de la microfinance s’est donc naturellement tourné vers les sources de financement extérieures, afin de satisfaire sa croissance. Soit sous forme de dons, dans le cadre de programmes de coopération par exemple, soit sous forme d’investissement au travers de structures de type fonds (les MIVs : Microfinance Investment Vehicules).

Le phénomène des MIVs : Luxembourg, leader mondial incontestable
Les premiers fonds d’investissement en microfinance ont moins d’une quinzaine d’années. Le premier a d’ailleurs été créé au Luxembourg en 1998. A fin 2010, les fonds d’investissement de croit luxembourgeois (35 sur env. 110 fonds recensés dans le monde) rassemblaient près de USD 3,2 milliards sous gestion, ce qui représente environ 47 % des actifs mondiaux sous gestion (6,8 milliards) pour cette classe d’actifs.
7 des 10 véhicules les plus grands en termes d’actifs sont logés à Luxembourg. Ces véhicules ont été créés sous forme de SICAV, SIF, SICAR ou de véhicules de titrisation.

Les quelques 110 fonds existant dans le monde ont le défaut d’investir quasiment tous sur le seul segment rentable, comprenant +/- 250 institutions qui représentent 80 à 90 % du volume d’encours de crédit (2). Ceci démontre que les plus grosses IMF n’ont pas de difficulté à se refinancer.
Ce déséquilibre est une source de préoccupation, pour deux raisons principales :

- d’une part, il fragilise la microfinance, en rendant la tête assez vulnérable aux capitaux du Nord. Ainsi, il est reproché à la profession – sous le prétexte de satisfaire les exigences des fonds étrangers en matière de performance financière – de gérer son propre compte de résultats, plutôt que celui de ses clients. Franck Renaudin, Directeur d’Entrepreneurs du Monde, l’ONG française spécialisée en microfinance précisait en Juin 2009 : « Oui, la tendance, depuis plusieurs années, est de mettre la priorité sur la viabilité des IMF plutôt que sur celle des emprunteurs ! ».

- d’autre part, cet apport de capitaux étrangers aussi mineur soit-il – il est estimé entre 10 et 20 % des flux totaux en microfinance (le reste étant des capitaux locaux) – tend à donner au Nord plusieurs fausses images de la microfinance.

Les solutions à mettre en place pour renforcer l’efficacité de la microfinance
Le premier biais est de laisser croire que la microfinance répond à une logique de marché financier (i.e. le rendement prouve l’efficience du modèle). Le deuxième est de résumer la microfinance à une question de moyens financiers. Or, le crédit n’est probablement pas l’élément le plus important, car les bénéficiaires ont déjà souvent accès à des sources de financement locales, même si elles sont chères (via les money lenders notamment). Ce qui leur manque en premier lieu est la capacité d’exploiter, mettre en valeur leur propre potentiel : le fameux « empowerment ». Pour exploiter ce potentiel, cela sous-entend d’abord de disposer de moyens éducationnels (i.e. avoir accès à la connaissance) et structurels (pouvoir disposer d’infrastructures de base, tels que les  routes ou l’électricité sans lesquelles les gens restent coupés du monde et sont donc voués à une stagnation).

Face aux nombreux malentendus sur le concept-même de microfinance et aux mauvais pratiques qui en découle, il est nécessaire de mettre en œuvre certaines mesures correctrices. Deux grandes catégories de mesures sont à relever : tout d’abord, mener une action au niveau institutionnel et politique des Etats du Sud, afin qu’ils engagent les investissements nécessaires en matière d’infrastructures, d’éducation et de santé (comme évoqué dans le paragraphe précédent). La microfinance à elle seule n’est pas en mesure de pallier tous les défauts, toutes les carences de l’environnement dans lequel les populations défavorisées vivent.

Parallèlement à ce train de mesures absolument indispensable – mais pour lequel les acteurs de la microfinance n’ont pas beaucoup d’influence – il est possible de relever quelques actions « quick results » qui permettraient, en attendant des évolutions positives sur le front politique, de mieux contrôler ce qui se passe sur le terrain.


Concrètement, quel plan d’actions mettre en œuvre ?

4 axes majeurs sont à relever :

AXE 1: normaliser le secteur en mettant en place des règles de bonnes conduite, des bonnes pratiques et un cadre réglementaire : de manière classique, lorsque l’on constate des abus dans une activité, il y a lieu de s’interroger si des systèmes de contrôle auraient pu prévenir l’incident. Il est reconnu par tous que la microfinance n’est pour le moment pas suffisamment régulée, ce qui explique que se côtoient sur un même pied d’égalité aussi bien des ONGs relevant d’une démarche purement sociale, que des institutions commerciales travaillant plutôt dans une logique de revenu. Il est probablement important de conserver cette diversité d’acteurs, mais il est cependant indispensable d’instaurer des règles et normes professionnelles communes à tous, principalement dans un souci de protection du consommateur. Une initiative de plusieurs IMFs travaillent sur l’élaboration de Principes de Protection du Client. De façon résumée, voici les 6 points identifiés :
1- éviter les situations de surendettement, en s’assurant de la capacité de remboursement de l’emprunteur
2- tarification (des crédits notamment) transparente et responsable
3- suivi des remboursements non coercitif
4- comportement éthique des employés
5- mise en place d’une procédure de plaintes / réclamations
6- non-divulgation des données privées du client

AXE 2 introduire des outils pointus de mesure de la performance sociale Dans le verdict sur l’efficacité de la microfinance, l’avis du client est incontournable. Or, l’auto-évaluation par l’IMF elle-même est encore très largement répandue. Si tous les acteurs le reconnaissent, peu nombreux encore sont ceux qui déploient les instruments nécessaires pour mener ce genre d’évaluation. Cela présuppose des moyens humains et des capacités de traitement de l’information récoltée importants, donc coûteux en temps et argent.
La question de la performance sociale a toujours été dérangeante, car elle peut avoir un impact négatif sur la capacité de l’institution à lever des fonds. Ce sujet a ainsi souvent été éludé dans le passé, sous prétexte que la microfinance est déjà par définition sociale. Les vagues de suicides, soupçonnées d’être plus ou moins en rapport avec des bénéficiaires de microcrédit ultra-endettés, pourraient en cause ce type de certitudes.

AXE 3considérer l’investissement en microfinance avec un certain esprit philanthropique
Dans sa définition originale – assistance technique et formation associées à la mise à disposition de microcrédits à des fins de production (et non de consommation) - la microfinance dépasse largement celle de simple produit financier. Vue la composante indispensable de l’assistance technique et de la formation dans l’accompagnement de l’emprunteur (trop souvent tronquée pour des impératifs de rentabilité !), l’investisseur doit être prêt à accepter une rémunération moins attractive que pour un investissement équivalent en risque. La pratique d’une microfinance responsable explique pourquoi il est si difficile d’atteindre l’autosuffisance financière, et dès lors pourquoi les IPO d’institutions de microfinance sont toujours l’objet de multiples controverses.

AXE 4: renforcer les critères de labellisation des investissements en microfinance
Les axes d’actions précédents devraient se retrouver parmi les critères de labellisation des véhicules d’investissement en microfinance. Par définition, un label a pour objectif de reconnaître les bonnes pratiques. Sa réputation repose sur l’étendue de son champ d’investigation. Lancé en 2006, le label luxembourgeois LuxFlag a par exemple renforcé ses critères d’exigence, dès 2009, afin d’y intégrer notamment des aspects de performance sociale.

La labellisation a une fonction importante dans les secteurs d’activité en voie de structuration, car elle donne des repères. Dans un secteur autant sujet à polémique que la microfinance, l’exigence doit rester élevée.


(1) IPO souscrite 18 fois ! Voir également les articles suivants :
- the Indian Microfinance Crackdown (mars 2011)
- Can Microfinance grow up without forgetting their roots ? (août 2010)

(2) Les 5 premières IMF mondiales représentent presque la moitié des encours mondiaux de microcrédit (2001 -World Bank Statistics)

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