Warning :

Reprinting material from this website without written consent from the author is a violation of international copyright law. To secure permission, please contact : homanity@gmail.com


Rechercher dans ce blog

lundi 8 juin 2009

« Un modèle mental régit les rapports entre hommes et femmes. Peut-il, doit-il changer ? »

Voici le résumé d'une conférence de Françoise Héritier, à laquelle j'ai assisté le 19 Mars 2009, au Forum "CSR Luxembourg".
La réflexion est d'une très forte intensité ...

Sujet :Les relations sociales dans leur ensemble sont étroitement liées au rapport homme-femme. Ce rapport est depuis l’aube des temps très inégal. C’est au travers de l’anthropologie que Françoise Héritier a cherché à comprendre cette inégalité des sexes qui a notamment pour corollaire une sous-utilisation des capacités individuelles. Ceci a des conséquences négatives à tous les niveaux de la société, se traduisant dans certains pays par des situations avérées de sous-développement – et d’une manière générale par une certaine forme de carence dans la conduite du pouvoir, dont l’entreprise n’est pas exempte, faut-il comprendre en filigrane.


Exposé détaillé :Françoise Héritier est géographe et historienne à l’origine. Elle découvre avec passion l’ethnologie, au travers des cours magistraux de Claude Lévi-Strauss en 1954 et s’engouffre alors dans cette voie. Aujourd’hui professeur honoraire au Collège de France, après avoir été chercheur au CNRS, puis directrice d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, elle est devenue une anthropologue de renom international. La consécration fut sa succession à Lévi-Strauss en 1981, à la chaire d’anthropologie sociale au Collège de France.

Outre ses travaux d’études et de recherches comparatives des sociétés africaines (notamment la compréhension des systèmes de parenté en milieu tribal) – qui constitue l’essentiel de son œuvre – Françoise Héritier est une ethnologue engagée. Elle a mis à profit ses connaissances du milieu familial et communautaire au profit de nombreuses questions actuelles de société, telles que : le sida, les minorités, mais aussi la violence, avec indubitablement en toile de fond la question sous-jacente du rapport homme/femme.

Ses travaux sur le rapport masculin/féminin ont fait l’objet d’avancées majeures dans la compréhension des interactions entre les deux genres de l’espèce humaine, dont on peut aisément décrypter les conséquences dans le milieu du travail et de la vie politique notamment.
Malgré toutes les mesures encadrées par la loi, la position des femmes dans les organes de décision et de pouvoir y est toujours aussi réduite.
Françoise Héritier apporte des explications scientifiques à cette énigme. Ses travaux de recherche l’ont conduite au constat suivant, qui constitue le pilier de toute son argumentation : « On ne trouve aucun système de parenté qui, dans sa logique interne, dans le détail de ses règles d’engendrement, de ses dérivations, aboutirait à ce qu’on puisse établir qu’un rapport qui va des femmes aux hommes, des sœurs aux frères, serait traduisible dans un rapport où les femmes seraient aînées et où elles appartiendrait à la génération supérieure ».
Tout démarre donc d’ici selon elle, au sein-même de la cellule familiale, dès les premières heures et premières années de la vie de l’enfant. Derrière cette thèse - qu’elle nomme la « valeur différentielle des sexes » - il faut y comprendre les faits suivants : depuis l’origine des temps (pour être plus précis, disons entre 750.000 et 500.000 ans av. JC), la femme est l’objet d’un rabaissement systématique vis-à-vis de l’homme. Des savants, à commencer par Platon et Hippocrate, théorisent sur les multiples incapacités et déficiences des femmes, tant intellectuelles que morales.
Encore au début du 20ème siècle, il était dit dans les milieux savants que l’infériorité intellectuelle de la femme est en relation directe avec la petite taille de son cerveau. On avoue même le fait que le crâne de la femme est plus proche de celui des grands singes que de celui de l’homme.
Ainsi, il existait par exemple en France au début du 20ème siècle, une agrégation de mathématiques spécifique pour les femmes, dont le niveau était officiellement bien en-deçà de celle réservée aux hommes. Un manuel scolaire catholique des années ’60 stipule encore à propos des femmes : « Faites en sorte de ne pas l’ennuyer en lui parlant, car ses centres d’intérêt sont négligeables ».

De ces jugements sans fondements, il s’ensuivra une douloureuse démarcation - encore bien saillante de nos jours - entre les domaines de la science à connotation plutôt féminine et ceux à connotation plutôt masculine. Typiquement, les sciences humaines seront considérées comme étant particulièrement bien adaptées aux femmes, car elles sont jugées comme étant moins pointues et rigoureuses que les sciences dites « dures », dont l’exigence en terme de savoir ne serait accessible qu’aux hommes.
Imperceptiblement, ces schémas de pensée vont marquer les consciences, entraînent parfois des réflexes d’autolimitation au niveau de l’ambition professionnelle, certaines femmes ne pensant pas être en mesure d’occuper des fonctions pour lesquelles elles ont pourtant les compétences et qualités requises.

Les récentes recherches en neurobiologie (au travers de l’imagerie médicale) seront pourtant formelles : les caractéristiques et le fonction du cerveau sont identique, quelque soit le sexe (le cerveau est asexué). C’est par l’apprentissage dès la naissance que se créent les neurones et relations synaptiques qui seront utilisées et mis à profit plus tard par l’individu, tout au long de sa vie. Si par exemple, la critique n’est pas travaillée dès le plus jeune âge, la personne en sera dépourvue plus tard.
Françoise Héritier souligne par ces arguments, que le problème persistant de la pauvreté et du sous-développement dans certaines parties du monde ne provient pas d’un défaut de moyens en matière d’éducation, mais d’un choix délibéré de ne pas éduquer les femmes, afin de les soumettre à certaines tâches bien délimitées, telles que le mariage et les travaux ménagers. Rien d’autre sinon n’expliquerait les déséquilibres absolument disparates dans le taux de scolarisation des femmes, entre le Vietnam ou les Philippines (plus de 90 % des filles fréquentant l’école) et le Pakistan ou l’Afghanistan où ce taux ne dépasse pas 30 %.

Sur quels fondements s’est construit ce « modèle intellectuel archaïque », tel que le qualifie Françoise Héritier ? L’anthropologue propose un scénario possible de la façon dont s’est mise en place la relation homme-femme.
En s’appuyant sur les rites et les mythes, certaines hypothèses apparaissent : les êtres humains ont toujours souhaité donner du sens à leur entourage, à leur environnement proche, ce qui nécessité une capacité d’analyse et de comparaison. La pensée humaine, traditionnelle ou scientifique, se serait exercée sur les premières différences observables : celle du corps (homme / femme), celle des éléments naturels (jour / nuit ; chaud / froid …). Cette pensée de la différence est à la base du système de réflexion binaire qui prévaut dans quasiment toute civilisation : on ne peut penser sans catégoriser les choses, sans faire des oppositions, voire même sans hiérarchiser. L’homme et la femme vont donc être interprétés comme étant deux pôles opposés, remplissant chacun un rôle particulier : « la femme a la capacité d’engendrer à la fois le semblable (une fille) et le différent (un garçon) » ; l’homme a la capacité de permettre la reproduction. L’hypothèse principale de Françoise Héritier est que l’homme a rapidement exprimé la volonté de contrôler la reproduction, à défaut de disposer de la capacité propre à celle-ci, … à la manière de celui qui s’assure la possession et le contrôle d’un trésor. Pour s’assurer que les femmes fassent les fils de l’homme, il fallait avoir plusieurs femmes à sa disposition, car elles sont le bien nécessaire à la survie du groupe. De cet état de fait, serait née la « domination masculine », telle que Pierre Bourdieu (sociologue contemporain français) la définit. Ainsi, les hommes se sont progressivement appropriés les femmes : ils les ont confinées, exclues des domaines politiques, économiques, religieux, privées souvent d’éducation, de pensée, de parole, violentées. Elles ont été dépossédées de leur autonomie et même de leur fonction reproductrice. En effet, les femmes sont censées n’être que « matière » (Aristote), ventres, réceptacles. C’est pourquoi la conquête de la contraception est vue par Françoise Héritier comme plus importante pour l’humanité et plus révolutionnaire que celle de l’espace. C’est la voie vers l’égalité des femmes.


Conclusion :Il s’agit bien ici de l’arrière-fond du débat, qui se prolonge jusque dans le milieu professionnel. La promotion de l’égalité homme-femme reste un terrain d’expression majeure de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE). Le combat pour l’égalité des sexes est le plus radical qui puisse être, insiste-t’elle. La différence des sexes structure la pensée humaine, puisqu’elle en commande les deux concepts primordiaux : l’identique et le différent.
Changer le rapport du masculin et du féminin signifierait bouleverser des schémas de pensée profondément ancrés. La manière dont chaque culture pense le statut de l’homme et de la femme met finalement en exergue toute sa conception du monde, sa sociologie.

Il faut comprendre derrière la démonstration de Françoise Héritier que la société dans son ensemble – entreprises et gouvernements compris – auraient tout à gagner en termes d’enrichissement intellectuel, de cohérence des décisions, et par conséquent en terme d’efficacité, d’un partage de pouvoir et de responsabilité plus équilibré entre hommes et femmes.