Warning :

Reprinting material from this website without written consent from the author is a violation of international copyright law. To secure permission, please contact : homanity@gmail.com


Rechercher dans ce blog

dimanche 27 novembre 2011

Vers une réinterprétation de la notion de risque dans une approche éthique de l’investissement (2) - Consensus vs. coercition

Dans la 1ère partie de cet article, il a été souligné que les sociétés modernes font supporter à l'ensemble de l'humanité un niveau de risque de plus en  plus élevé. En réaction à ce phénomène, les activités de "risk management" en milieu industriel, comme dans le milieu des services (financier entre autre) connaissent une croissance très importante.
Il existe toutefois un rempart à la dérive dangereuse en matière de risque : le principe de la dette de vie. Parce qu'aucun d'entre nous n'est créateur de sa propre personne, chacun se doit ou devrait perpétuer l'oeuvre originale. Ainsi, chacun a le devoir d'assurer l'avenir de son Prochain, autrement dit des générations futures.
Nous retrouvons ici le concept plus vulgairement connu de Développement Durable, qui appréhende toute activité d'origine humaine dans sa globalité, dont notamment son impact social et environnemental.
De ce point de vue, il reste encore beaucoup à faire pour progresser. Force est de reconnaître que le secteur financier est encore loin d'avoir intégrer dans son analyse du risque, ne serait-ce que la majeure partie des variables de nature sociale et environnementale.


Le caractère intrinsèquement sournois du risque complique la concertation a priori, du fait d’abord  de la difficulté de représentation du risque encouru tant qu’il ne s’est pas réalisé, ensuite parce que l’organisation de la société ne s’est jamais construite sur une base d’anticipation de scénarios catastrophes, mais sur l’espoir d’un avenir radieux. La société ne s’organise pas par dépit, mais au contraire par optimisme envers l’avenir. Se prémunir contre le risque est encore trop perçu comme l’adoption d’un regard pessimiste sur le futur, ce qui explique que l’homme n’y prête pas l’intérêt nécessaire et suffisant. Or, l’appréhension du risque n’est pas un signe de défaite, d’échec, ni de soumission. Il ne faut surtout pas chercher à ignorer la perspective du risque, car cela relève de l’irresponsabilité. La responsabilité repose en revanche sur la capacité de discernement. Anticiper un risque est effectivement le meilleur moyen de l’éviter. Selon U. Beck, la société du risque mènerait à un effondrement progressif de la société des classes (chacun étant égal face au risque) et à la nécessité de redéfinir un nouveau cadre politique. On en revient à l’idée d’un cadre institutionnel capable d’intégrer des principes responsables.


Le côté égalitaire du risque

Dans un contexte de risque globalisé – comme nous le connaissons aujourd’hui – le combat des classes sociales se déplace donc sur un nouveau terrain : le problème de positionnement social de l’individu dans la société tend à s’estomper au profit d’une préoccupation de survie personnelle. Il ne s’agit plus d’un face-à-face homme/homme (comme la lutte des classes l’exprime), mais d’une confrontation homme/inconnu. Preuve que l’inégalité est relative, les hommes apparaissent immanquablement tous égaux face au danger. L’ennemi d’antan peut devenir tout à coup le sauveur du moment. La logique de classe devient caduque face à l’évidente égalité de la personne dans un contexte de risque généralisé.

Par extension, la nouvelle organisation politique de la société remet fondamentalement en cause l’un des principes sur lesquels elle est fondée : le concept de propriété individuelle. Quelle utilité d’accumuler, si le patrimoine constitué est gravement menacé par des éléments sur lesquels le propriétaire n’a pas de prise ?
Face à la réalité de sa propre existence, l’homme n’est puissant que dans sa manière de concevoir et d’assurer sa propre survie. Le concept d’une société totalement organisée autour de la production et de la consommation n’a de sens que dans un espace naturel sans limite, dans lequel le partage des ressources de la vie est garanti. Hors cet équilibre n’existe plus. Il s’agit donc de repenser une société autour du principe de vulnérabilité face au risque, et non autour de l’être et du paraître, ce qui pose toutefois un problème ontologique auquel l’homme refuse de se confronter, car il a jusqu’à présent toujours placé la personne au-dessus du bien commun.


Le risque : une menace pour la démocratie

Sauf à parvenir à l’adoption d’une discipline commune, il y a de fortes chances que les systèmes de contrôle des personnes se généralisent (avec la sempiternelle question de l’atteinte à la vie privée), dans la mesure où – dans un contexte d’accès facilité aux technologies les plus modernes – chacun devient potentiellement capable de provoquer une catastrophe à grande échelle. Il est donc possible d’en conclure que l’enjeu de la responsabilité individuelle face à une situation de risque est la sauvegarde de la liberté et de l’intimité de chacun. L’espace de liberté individuelle est pourtant constitutif de l’être humain. Celui-ci ne pourrait survivre à une oppression permanente (qui est aujourd’hui considéré comme une atteinte à l’intégrité physique et donc condamnable par la loi). L’alternative à la coercition est la redéfinition d’un modèle de société. Les institutions financières ont un rôle à jouer (sans aucun risque de perdre leur clientèle, en raison de leur statut incontournable dans les circuits économiques), plutôt que de faire le jeu d’une finance de marché qui met en avant l’individualisme comme source de construction d’un patrimoine censé garantir l’existence de l’être humain.


La dette de vie, un service à n’importe quel prix ?

Il faut reconnaître qu’il existe aujourd’hui un refus à accepter le risque. La capacité de laisser faire et le refus de prise de conscience sont profondément implantés dans une société saturée d’informations. Il y a même une tendance à la négation de la conscience (« Je n’étais pas au courant »), à la négation de l’action (« je n’ai rien fait de mal ») et à la négation de la capacité personnelle à intervenir (« Qu’est-ce que je pouvais faire ? »).

Admettre que le danger nous menace rendrait la vie inutile, car sans perspective de continuité. Anticiper, être averti, acquérir la conviction d’un terme imminent de l’espèce humaine serait profondément déstabilisant pour l’homme, au point de rejeter ce sentiment. Chaque personne en viendrait à s’interroger sur la finalité de son existence, ce qui prouve qu’inconsciemment l’être se sent investi malgré lui d’une mission, celle d’assurer sa descendance, car celle-ci constitue le prolongement de sa propre existence et permet de prouver sa confiance en la pérennité de la vie. En se projetant inconsciemment dans la génération future, l’homme exprime une forme de dette de vie, car cette dette lui donne en échange la clé pour passer dans la postérité. Derrière les ordres d’achat et de vente de titres que l’investisseur passe sur le marché, ou derrière la construction d’un empire industriel, il peut se dissimuler la silhouette d’une personne qui, au-delà de ses seuls besoins fondamentaux d’existence, cherche à laisser à ses descendants un patrimoine, peut-être aussi une certaine vision de la vie et des valeurs, et souvent à laisser sa trace dans l’histoire. L’intention peut être certes bonne, si elle ne va pas à l’encontre d’une négligence des risques éventuellement générés par les conditions de sa réalisation (ce qui semble incohérent avec le souci d’assurer la relève des générations) ? Quels sont les moyens de paiement acceptés – pourrait-on dire – pour régler sa dette ? Voilà des questions qui se posent et ne peuvent trouver de réponse qu’en éclaircissant le principe de la dette de vie. Il apparaît en fait que nous sommes face à un phénomène financier tel qu’on l’entend sur le plan économique, avec une dette à régler, un risque de crédit (l’éventuel défaut de conscience de l’homme à l’égard du principe de l’existence) et les conditions de son acquittement. Le non-remboursement de la dette coïnciderait avec la disparition de l’espèce humaine, tout comme l’incapacité de faire face à ses engagements traduit l’état de faillite de l’entreprise.


La finance en situation d’échec, dans sa politique de gestion des risques

La prolifération des risques a conduit d’une part à considérer certains d’entre eux comme inéluctables, et d’autre part – conséquence logique – à banaliser le principe-même de risque, à l’interpréter comme la contrepartie non dissociable du bien-être qu’il procure, comme le mal nécessaire pour un confort de vie meilleure. Le risque perd alors de son caractère dramatique pour devenir « l’accompagnateur » habituel de l’homme. Dans le domaine financier, il en est devenu ainsi également. Il paraît normal aux yeux de chacun qu’une mise de fonds comporte un risque.

La dimension importante du risque dans les sociétés modernes réhabilite la notion d’incertitude comme élément fondamental à prendre en compte dans le processus décisionnel. L’obstacle majeur à la prise en considération de l’incertitude – et donc à l’adoption d’un principe de précaution – est qu’elle est incompatible avec les principes de l’économie néo-classique. Les divers théorèmes et théories générales ont cherché à rationaliser les choix personnels, et à considérer le marché comme un jeu à somme nulle où tout finit par s’équilibrer (selon l’hypothèse qu’en face de chaque acheteur se trouve un vendeur, que toute création est compensée par une absorption au titre de la perpétuité du cycle de vie).
 
Si la profession bancaire est encadrée par des normes de plus en plus strictes en matière de ratios bilantaires et contraintes d’exposition au risque (Bâle II, puis Bâle III maintenant), de façon à prévenir tout risque systémique qui mettrait à mal l’ensemble du système financier, l’impasse demeure sur le risque non financier. Aucune réglementation ne contraint les banques à intégrer dans leurs analyses de dossier de financement une évaluation des externalités négatives. La raison en est simple : ce type d’analyse conduirait à la non-viabilité intrinsèque d’une part substantielle des projets.