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dimanche 16 août 2009

Le Risk Management interpellé par l’urgence d’une finance durable

Moins il y a de responsabilité, de morale ou d’éthique, plus forte est la psychose et plus la fonction de Risk Management est indispensable pour garantir la pérennité de l’entreprise. Jusqu’à un certain point.

Je viens de lire un article co-écrit par un ancien collègue du secteur bancaire, spécialiste du Risk Management. Son article est fort intéressant, voire assez original de la part d’un universitaire plutôt réputé pour publier des ouvrages au contenu très technique, à l’image de cette discipline récente.
L’auteur fait un tour assez complet des principales questions d’ordre sociétale et environnementale qui interpellent aujourd’hui les schémas de pensée dans lesquels la civilisation humaine – d’abord occidentale – s’est confortablement installée avec la plus grande certitude d’avancer dans la bonne voie. Il y a de l’humain dans cet article, comme le souligne notre collègue : « La base est sociétale. « Nous n’héritons pas la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ». Ce proverbe aux origines peu sûres nous rappelle à l’ordre : la base est sociétale ». Voilà une approche des choses qui commence bien et donne le ton général de la réflexion menée tout au long de l’article.

Le paragraphe d’introduction est cependant celui sur lequel je m’attarderai :
« L’histoire récente prouve que les structures et méthodes de Risk Management n’ont pu prémunir les acteurs financiers de la crise actuelle (NDLR : la crise financière de 2008). En examinant le problème par le bout de la lorgnette, il est aisé de critiquer les méthodes de type « Value at Risk » et autres « tests d’endurance » que les Risk Managers manipuleraient trop souvent dans des vases hermétiques à la réalité des affaires.
A l’opposé, bien que scientifiquement fondées, nous devons être capables de remettre ces méthodes en cause et de nous poser à nouveau la question des conditions de leur utilisation. Le moins que l’on puisse attendre aujourd’hui des Risk Managers face aux conséquences de la crise est une prise de (co)responsabilité. Mais plus encore, la profession devrait contribuer à l’éclosion de la finance durable, terreau de notre future Place financière
(NDLR : la place de Luxembourg) ».

La première phrase de cette introduction suscite quelques commentaires de ma part, que voici.
Le Risk Management ne devrait-il pas intégrer de façon plus prononcée, dans ses prérogatives, des analyses anticipatives d’ordre macro-économique, social et environnemental ? Je n’ai pas l’impression qu’aujourd’hui ce genre de risque soit pris au sérieux. Mais le Risk Management a t’il les moyens de prendre en compte des risques globaux, en l’absence de certitudes et de statistiques fiables ?
L’exercice est difficile, mais probablement pas impossible. Il doit être entrepris par étape, en commençant peut-être par intégrer des constats de bon sens, depuis longtemps enterrés car considérés trop simples dans un monde vantant la complexité comme un signe de modernité.
Ainsi par exemple, l’industrie financière prend-elle en compte dans ses modèles de risque le fondement économique des transactions réalisées ? Indicateur simple, mais pourtant très significatif du niveau de risque. Nous savons tous que les opérations purement spéculatives peuvent rapidement devenir un facteur d’instabilité, si elles ne sont pas refreinées. La crise financière a encore une fois prouvé les effets néfastes de la spéculation, lit d’une finance virtuelle qui s’auto-entretient sans lien avec l’économie réelle, jusqu’à ce que la perte de confiance provoque l’effondrement.

Dans ce même ordre d’idée, les banques intègrent-elles un facteur risque sur les produits financiers qu’elles créent, selon que celui-ci est composé d’actifs sous-jacents réels (une action ou une obligation d’entreprise ou à l’opposé, d’un indice boursier, des créances titrisées) ?
Avec de tels indicateurs, il eut été possible pour les opérateurs bancaires d’anticiper la crise, et d’oser en parler dans les conseils d’administration. Car il faut être téméraire, en pleine phase d’euphorie des marchés, pour se prononcer en faveur d’un changement de stratégie ou d’offres de produits et services. De tels indicateurs auraient dû inciter les conseils d’administration à provisionner (au risque de déplaire à l’actionnaire !) pour le risque imminent de retournement des marchés et de l’économie toute entière. On est en plein dans la question de la responsabilité, consistant à s’auto-sanctionner pour avoir participé soi-même à la réalisation du « mal ».

Le même raisonnement pourrait s’appliquer à d’autres secteurs d’activité : le fabricant de console de jeux pourrait intégrer dans son Risk Management le fait qu’il favorise indirectement l’individualisme et qu’il contribue donc à la destruction du lien social, dont on connaît les innombrables répercussions négatives sur l’ensemble de la société. Sans compter qu’il pourrait aussi être attaqué en justice pour des dommages qui tendraient à prouver une dépendance de ses clients aux jeux électroniques.

La tentative de prendre en considération l’intégralité des risques existants entraîne inévitablement un état général de psychose (cf. « La société du risque », d’Ulrich Beck). Il est certain que dans un contexte socio-environnemental qui va connaître des tensions de plus en plus fortes, le Risk Management va devoir étendre de plus en plus son champ de compétence et d’application au fur et à mesure que la menace deviendra plus apparente et concrète pour les entreprises … jusqu’à ce que chaque acteur prenne conscience que le dispositif de monitoring et de mitigation de tous ces risques est trop lourd et qu’il serait tout simplement préférable de redéfinir le fondement moral et éthique des affaires.

En attendant, il faut bien admettre que le Risk Management a de beaux jours devant lui, car la grande majorité de la communauté économique et scientifique élève encore des murs entre les disciplines économique, écologique et sociale, comme si elles agissaient indépendamment les unes des autres. Il serait grand temps d’admettre qu’elles sont indissociables.